Une gestion des risques évitant les biais cognitifs habituels
L’approche la plus commune de la gestion des risques repose sur les notions de gravité et de probabilité telle qu’elle fut représentée par Farmer. Je propose de remettre en question cette conception de la gestion des risques.
Que dire en effet de l’attentat du World Trade Center, de la catastrophe de Fukushima, du cataclysme de Bhopal ? Chacun de ces évènements, pourtant majeurs, aurait été considéré comme très peu probable la veille-même de leur survenue. Imaginer demain selon les seules bases de la mémoire des jours précédents est biais de représentation qui constitue un risque majeur pris par les organisations qui se basent sur le modèle probabiliste de l’évaluation des risques.
Je base ma vision des risques uniquement que la notion de gravité. C’est bien cet axe qui permet d’élaborer la première priorisation des risques à gérer qui dès lors se pondère selon les ressources de l’entité concernée.
Une approche complexe des crises
Nombre d’ouvrages et d’articles traitent de la gestion de crise. La plupart des organisations se préparent à les affronter et pourtant il s’avère que le mot « crise » exprime des notions bien différentes :
Une approche par l’impact
Cette approche se concentre notamment sur les conséquences ainsi que sur la faible probabilité de survenue des crises.
« an event that threatens the most fundamental objectives of a society such as its survival and profitability and is usually initiated by events of low probability that can generate expansive consequences and social disruptions involving a variety of stakeholders » (Shrivastava & Mitroff, 1987, Smith, 1999).
« a crisis, regardless of its type or magnitude, has the potential to cause catastrophic or irreparable damage to organizations and individuals” (Mitroff, 1988).
« an organizational crisis is a low-probability, a high-impact situation that is perceived. by critical stakeholders to threaten the viability of the organization and which is subjectively experienced by these individuals and socially threatening » (Pearson & Clear, 1988).
En analysant l’événement du point de vue de ses expressions externes, cette vision des crise offre une approche totalement opérationnelle. Dans la mesure où l’approche par impact considère les crises uniquement après leur déclenchement, cette vision conduit les gestionnaires de crise et les chercheurs à adopter un comportement et une vision essentiellement réactifs.
Une approche par l’évènement
D’autres organisations et chercheurs abordent la notion de crise par rapport à leur nature.
Lerbinger (1997) a défini les crises en fonction de leur nature. Il a distingué au sein des crises celles qui sont classables comme : naturelles, technologiques, conflictuelles, malveillantes et asymétriques, ainsi que les crises de déception et de mauvaise gestion.
Cette approche processuelle est essentiellement basée sur les causes et la dynamique de la crise. Le phénomène crisogène est considéré ici comme le résultat de dysfonctionnements cumulés et potentiellement identifiables.
Cette notion de causalité est inhérente à l’analyse a posteriori des événements détectés et formalisés. Par cela elle donc narrative. Ce point est fondamental car il interdit de considérer la crise comme un phénomène imprévisible, mais au contraire comme une situation prévisible et logique dans les cascades des causes successives ayant permis l’événement.
Une approche complexe
Cette dernière approche, qui est celle que je propose, se base sur le constat de l’imprédictibilité des crises et de la dimension d’improvisation nécessaire venant compléter la préparation de l’organisation.
« crisis is an unexpected, undesirable, unpredictable and unthinkable, which most of the time produces uncertainty and disbelief« (Milasinovic et al., 2010 ; Heat et al., 2009)
Cette approche met en évidence la nature complexe de l’organisation impactée et la non-proportionalité (ou non-linéarité) de l’événement. L’organisation et les acteurs sont confrontés à une situation totalement inattendue, imprévisible et dans une incertitude omniprésente dans laquelle il devient fondamental de s’adapter aux moyens disponibles, voire d’improviser, afin de limiter au mieux les conséquences.
Pour une nouvelle définition de la crise
La crise est ainsi perçue comme une situation critique sans effets de proportionalité. La dynamique de crise repose donc sur des effets seuil (ou non-linéaires) qui ne peuvent être anticipés par l’intuition ou l’analyse. Cette dynamique non-linéaire (et donc en apparence aléatoire) impacte quant à elle des organisations composés d’éléments en intéraction et en interdépendance. C’est dans ce cadre que je propose pour la crise la définition suivante :
« Une crise est la manifestation d’une dynamique non-linéaire impactant un système complexe ou multi-complexe »
Raphaël De Vittoris (2018)
Cette conception basée sur la théorie de la complexité et celle des « accidents normaux » m’amène à proposer une approche reposant sur des notions couplées d’improvisation et de préparation, de flexibilité extrême et d’une organisation multi-couches (ou fractale) de la gestion de crise.
L’organisation ne doit plus se trouver fragile (en raison d’une très faible tolérance aux turbulences) ou solide (en raison d’une résistance jusque là satisfaisantes aux aléas internes et externes), mais doit plutôt se nourrir des crises. Elle doit évoluer grâce à elle, demeurer adaptable.
Elle doit apprendre à être prise par surprise, à perdre ses repères, à décider dans l’incertitude, à oeuvrer en marche dégradée. Elle doit apprendre de sa mise sous pression constante pour conserver voire augmenter son adaptabilité. L’organisation soit apprendre à profiter des opportunités apportées par la crise tout en s’adaptant aux difficultés.
L’organisation doit devenir antifragile.
« Mes meilleures improvisations sont celles que j’ai le plus longuement préparées »
WinstonChurchill